jeudi 5 juillet 2012

Pour conclure sur la khâgne.

"La manie de faire des bilans sur soi-même est une façon de tromper l'angoisse de n'être que ce que nous sommes : une caricature de notre idéal, l'ombre portée et déformée de notre sur-moi."
José Corti

Et pourtant, j'en reviens toujours à ce point. Une année passe, douze mois et cinquante-deux semaines s'écoulent pour en revenir à ce même point. Faire un bilan, c'est peut-être une manière illusoire d'achever un parcours, d'accomplir pleinement quelques instants de vie; de se dire que la boucle et bouclée, et de se rassurer comme l'on peut.
Oui, j'ai avancé. Oui, j'ai appris de mes erreurs. Oui, j'ai enfin grandi.

C'est aussi un peu pour ça que j'ai initialement ouvert ce blog. Conserver quelque chose de mon expérience en prépa, et si possible, quelque chose de positif et de constructif. Retracer, des mois plus tard, le fil de ma progression. Comprendre, d'un regard neuf, ce que j'ai été et ce que je suis à présent. Cette habitude de regarder un instant en arrière pour regarder le chemin parcouru n'est sûrement, en effet, qu'une façon de "tromper l'angoisse"; néanmoins je crois cette attitude nécessaire. Cette réflexion sur soi, en soi, me paraît indispensable pour avancer, pour essayer de donner une quelconque forme cohérente à cet agglomérat d'événements qui constitue notre vie.

Je constate tout ce que ces deux années de prépa m'ont apporté sur le plan humain et personnel. Peut-être n'est-ce là que l'effet de ma vingtième année, qui me plonge de plus en plus dans le monde (abyssal et terrifiant!) adulte; mais clairement, j'ai l'impression que la jeune et fraîche Terminale de 17 ans empochant son Bac mention Bien il y a deux ans est très, très loin. A des millénaires. A vrai dire, je ne suis plus la même personne. Comment expliquer ce sentiment? J'ai l'impression d'être devenu moi-même, tout bêtement. Et la prépa à entièrement participé à cette évolution, à cette ouverture, à cette éclosion (n'ayons pas peur des mots). Ce n'est ici pas tant question de culture ou de savoir; plus subtilement, je sens que mon jugement s'est affiné, aiguisé au fil des mois (j'avais peur, en sortant de prépa, de consiédrer le monde d'un peu trop haut, du genre "'MOI j'ai été en prépa, voyez-vous"). Et puis...non. La prépa vous apprend (aussi) la modestie et l'humilité. Même si sur le coup, vous vivez prépa, mangez, dormez, rêvez, parlez, respirez prépa, au bout du compte, vous regardez le monde d'un autre oeil, vous embrassez la multiplicité des choses avec plus de pragmatisme et de tolérance. Parfois, cette prise de conscience nouvelle sur les choses qui nous entourent provoque une sorte d'angoisse, profonde; comme si brusquement l'existence infime et dépourvue de sens qui est la nôtre nous sautait à la figure, nous prenait à la gorge, violemment. L'ouverture à ce qu'on pourrait pompeusement appeler (à juste titre) une forme de contemplation est tout aussi grisante que terrifiante.
Tout ceci pour arriver au fait suivant : désormais, j'ai l'impression de mieux me connaître moi-même (coucou Socrate), et je pense que cette réflexivité est précieuse pour chacun. Rien que pour ça, je ne pourrai jamais regretter un seul instant d'avoir choisi cette voie.

Mais quittons les Hautes Sphères (comme dirait l'autre), et redescendons un peu sur terre. La khâgne, c'est aussi sept mois de douleur, de sueurs et de larmes. Concrètement, c'est raide (et mes archives de l'année passée sont plus ou moins édifiantes à ce sujet). L'hypokhâgne, ce n'est en fait qu'un avant-goût, une préparation, une initiation à ce qui vous attend DERRIERE. D'ailleurs, si on y réfléchit deux secondes, étymologiquement, l'HK ne se destine à rien d'autre que d'être ce qu'il y a "en-dessous" de la khâgne. Bref, ce n'est pas tous les jours facile. Néanmoins, et peut-être que les billets précédemment postés ne le disaient pas clairement, cette année a juste été extraordinaire. Il serait inutile de déployer toute une liste de synonymes et de termes élogieux pour qualifier la khâgne, et plus largement la prépa littéraire; mais je n'en pense pas moins. Finalement, qu'ai-je à faire des moments d'angoisse à la veille du concours blanc de littérature? Du désespoir d'avoir rendu une version de latin si mauvaise, qu'elle m'a effectivement valu la note de 3/20? D'avoir passé 12H d'affilée à réviser l'histoire, jusqu'à ce que je ne me rappelle plus mon propre nom? Et de toutes ces douleurs physiques, cette tension nerveuse couplée à une tension musculaire extrême, qui me faisait parfois verser des larmes de crispation? Qu'en ai-je à faire, de tout cela? Est-ce de tous ces détails que l'on se souvient? Absolument pas.
Je pense plutôt au cours de philo, merveilleux de clarté et de précision. Je pense à la joie d'obtenir un 16 en khôlle d'histoire. A celle de lire Racine, Balzac, Barthes, Sartre, et de découvrir les obscénités d'Apollinaire. Je pense à tous les fous-rire en classe, au partage des joies et des peines, aux débrif commun de tous les DS. Car l'aventure de la prépa se fait en solo, oui, mais aussi avec les autres. Bref, je ne repense qu'aux bons moments, aux apports intellectuels et culturels -immenses, à ce "tout" qui m'a fait avancé à une vitesse fulgurante.
C'est cette image que j'aimerais retenir, celle d'un tout, d'un ensemble globalisant qui m'a fait évolué sur tous les plans; intellectuel, personnel, moral. Beaucoup de bonnes choses, en somme.

Futurs khâgneux, n'ayez pas peur de cette année qui arrive. Ce sera un véritable combat, certes. Mais certainement le plus beau des combats : celui contre vous-même. Et il n'y a qu'à travers ce type d'épreuve que l'on peut se construire pleinement en tant qu'individu, se réaliser et accomplir ce que nous sommes. Je vous souhaite vraiment de découvrir toujours plus de choses, d'apprendre encore et toujours (car on en a jamais fini, de ce côté-ci!), et de profiter à fond ce que qui s'offre à vous, malgré les obstacles.
(Pour les autres, venez tous en prépa, c'est super).

Bref, acharnez-vous, forcez-vous, dépassez vos propres limites. Mais éclatez-vous :)

Bientôt, petit point sur les équivalences, la fac et la khûbe. Enjoy.


11 commentaires:

  1. C'est un très bel article que tu nous offre là !
    (J'étais certain que tu mettrais les photos de tes deux autres étagères </3 :'( HAAARGH je meurs)

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    1. Merci <3 La bibliothèque est en cours de rangement; car plus ça va, plus c'est un véritable champ de bataille :)

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  2. Je suis tout à fait d'accord avec ton bilan :) La prépa littéraire est tellement enrichissante sur soi, et on y rencontre tellement de gens super, que même si parfois on pleure, on en a marre et on voudrait tout arrêter, c'est vraiment une expérience à vivre et puis, finalement, une fois l'année finie on n'a plus tant que ça envie de partir :)

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    1. Voilà, tout est dit, tu as parfaitement résumé la situation! :)

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  3. Waouh, si après un article comme ça je ne suis pas prise en prépa, je n'ai plus qu'à passer mes journées à pleurer ! (Bon, je vise une hypokhâgne B/L, mais je suppose que l'enrichissement est tout aussi important :) Bravo pour cet état d'esprit positif, et puis bonnes vacances !

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    1. Oui, au fond, quelle que soit l'HK, ce sont les mêmes apports, la même richesse, bien que l'expérience diffère en certains points ;)
      Merci pour ton commentaire, ça me fait très plaisir :)

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  4. Ton article bien qu'impressionnant, sait se montrer stimulant.

    A l'aube de la khâgne (HG en ce qui me concerne), je ne connais encore rien de la saveur si particulière de l'année qui m'attend. En revanche, je suis certain d'une chose, je vais tout donner ! Merci pour la qualité de ton témoignage.

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  5. Beau plaidoyer! La khâgne me parait encore plus extraordinaire à la lecture de ton article :) ça me fait un peu peur, mais en même temps j'ai hâte d'y être!
    En tout cas on sent dans tes propos "l'effet prépa"... j'ai l'impression que l'aspect enrichissant de mon hypokhâgne n'est rien à côté de ce qui arrive :)

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  6. Salut Justine,
    après être tombée sur ton blog par hasard, je m'y suis plongée, et c'est avec beaucoup de plaisir que j'ai lu tes chroniques, qui m'ont beaucoup rappelé ma propre expérience. Comme toi je khûbe cette année, et j'ai l'impression que tu ressens à peu près la même chose que moi... En tout cas ce bilan sur la prépa me semble très juste.
    Merci pour ta finesse et le partage de ton expérience, et bonne chance pour ta troisième année !

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  7. Huhu on a beau se dire que finalement on va survivre à cette khagne, beh je flippe bien quand même. Surtout quand leur saloperies d'édition imposées sont EVIDEMMENT introuvables ou en rupture de stock. La culture n'a pas de prix, oui, quand on a les moyens: y'en a qui s'engraissent bien tous les ans en augmentant leurs prix. Bref, saurais tu où trouver l'édition de 90 des soleils des indépendances?
    J'ai commencé le paysan parvenu, ça se lit assez vite, sans temps de pause comme au théatre (après les multiples interruptions stylistiques genre Cervantes "je vais vous raconter la suite mais d'abord je me repose en parlant d'autre chose", ça fait du bien)
    J'aime beaucoup ton blog, ta façon de raconter la prépa, tout ça. Et je ne peux que déplorer avec toi ce temps absolument déprimant qui plane au dessus de nos têtes nordiques...

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  8. Une khâgneuse lyonnaise1 août 2012 à 17:54

    C'est ça. Pile poil ça. Parfait résumé de cette expérience unique :)

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