"La manie de faire des bilans sur soi-même est une façon de tromper
l'angoisse de n'être que ce que nous sommes : une caricature de notre
idéal, l'ombre portée et déformée de notre sur-moi."
José Corti
Et pourtant, j'en reviens toujours à ce point. Une année passe, douze mois et cinquante-deux semaines s'écoulent pour en revenir à ce même point. Faire un bilan, c'est peut-être une manière illusoire d'achever un parcours, d'accomplir pleinement quelques instants de vie; de se dire que
la boucle et bouclée, et de se rassurer comme l'on peut.
Oui, j'ai avancé. Oui, j'ai appris de mes erreurs. Oui, j'ai enfin grandi.
C'est aussi un peu pour ça que j'ai initialement ouvert ce blog. Conserver quelque chose de mon expérience en prépa, et si possible, quelque chose de positif et de constructif. Retracer, des mois plus tard, le fil de ma progression. Comprendre, d'un regard neuf, ce que j'ai été et ce que je suis à présent. Cette habitude de regarder un instant en arrière pour regarder le chemin parcouru n'est sûrement, en effet, qu'une façon de
"tromper l'angoisse"; néanmoins je crois cette attitude nécessaire. Cette réflexion sur soi,
en soi, me paraît indispensable pour avancer, pour essayer de donner une quelconque forme cohérente à cet agglomérat d'événements qui constitue notre vie.
Je constate tout ce que ces deux années de prépa m'ont apporté sur le plan humain et personnel. Peut-être n'est-ce là que l'effet de ma vingtième année, qui me plonge de plus en plus dans le monde (abyssal et terrifiant!) adulte; mais clairement, j'ai l'impression que la jeune et fraîche Terminale de 17 ans empochant son Bac mention Bien il y a deux ans est
très, très loin. A des millénaires. A vrai dire, je ne suis plus la même personne. Comment expliquer ce sentiment? J'ai l'impression d'être devenu moi-même, tout bêtement. Et la prépa à entièrement participé à cette évolution, à cette ouverture, à
cette éclosion (n'ayons pas peur des mots). Ce n'est ici pas tant question de culture ou de savoir; plus subtilement, je sens que mon jugement s'est affiné, aiguisé au fil des mois (j'avais peur, en sortant de prépa, de consiédrer le monde d'un peu trop haut, du genre
"'MOI j'ai été en prépa, voyez-vous"). Et puis...non. La prépa vous apprend (aussi) la modestie et l'humilité. Même si sur le coup, vous vivez prépa, mangez, dormez, rêvez, parlez, respirez prépa, au bout du compte, vous regardez le monde d'un autre oeil, vous embrassez la multiplicité des choses avec plus de pragmatisme et de tolérance. Parfois, cette prise de conscience nouvelle sur les choses qui nous entourent provoque une sorte d'angoisse, profonde; comme si brusquement l'existence infime et dépourvue de sens qui est la nôtre nous sautait à la figure, nous prenait à la gorge, violemment. L'ouverture à ce qu'on pourrait pompeusement appeler (à juste titre) une forme de
contemplation est tout aussi grisante que terrifiante.
Tout ceci pour arriver au fait suivant : désormais, j'ai l'impression de mieux me connaître moi-même (coucou Socrate), et je pense que cette réflexivité est précieuse pour chacun. Rien que pour ça, je ne pourrai jamais regretter un seul instant d'avoir choisi cette voie.
Mais quittons les Hautes Sphères (comme dirait l'autre), et redescendons un peu sur terre. La khâgne, c'est aussi sept mois de douleur, de sueurs et de larmes. Concrètement,
c'est raide (et mes archives de l'année passée sont plus ou moins édifiantes à ce sujet). L'hypokhâgne, ce n'est en fait qu'un avant-goût, une préparation, une initiation à ce qui vous attend DERRIERE. D'ailleurs, si on y réfléchit deux secondes,
étymologiquement, l'HK ne se destine à rien d'autre que d'être ce qu'il y a "en-dessous" de la khâgne. Bref, ce n'est pas tous les jours facile. Néanmoins, et peut-être que les billets précédemment postés ne le disaient pas clairement, cette année a juste
été extraordinaire. Il serait inutile de déployer toute une liste de synonymes et de termes élogieux pour qualifier la khâgne, et plus largement la prépa littéraire; mais je n'en pense pas moins. Finalement, qu'ai-je à faire des moments d'angoisse à la veille du concours blanc de littérature? Du désespoir d'avoir rendu une version de latin si mauvaise, qu'elle m'a effectivement valu la note de 3/20? D'avoir passé 12H d'affilée à réviser l'histoire, jusqu'à ce que je ne me rappelle plus mon propre nom? Et de toutes ces douleurs physiques, cette tension nerveuse couplée à une tension musculaire extrême, qui me faisait parfois verser des larmes de crispation? Qu'en ai-je à faire, de tout cela? Est-ce de tous ces détails que l'on se souvient? Absolument pas.
Je pense plutôt au cours de philo, merveilleux de clarté et de précision. Je pense à la joie d'obtenir un 16 en khôlle d'histoire. A celle de lire Racine, Balzac, Barthes, Sartre, et de découvrir les obscénités d'Apollinaire. Je pense à tous les fous-rire en classe, au partage des joies et des peines, aux débrif commun de tous les DS. Car l'aventure de la prépa se fait en solo, oui, mais
aussi avec les autres. Bref, je ne repense qu'aux bons moments, aux apports intellectuels et culturels -immenses, à ce
"tout" qui m'a fait avancé à une vitesse fulgurante.
C'est cette image que j'aimerais retenir, celle d'
un tout, d'un ensemble globalisant qui m'a fait évolué sur tous les plans; intellectuel, personnel, moral. Beaucoup de bonnes choses, en somme.
Futurs khâgneux, n'ayez pas peur de cette année qui arrive. Ce sera un véritable combat, certes. Mais certainement le plus beau des combats : celui contre vous-même. Et il n'y a qu'à travers ce type d'épreuve que l'on peut se construire pleinement en tant qu'individu, se réaliser et accomplir ce que nous sommes. Je vous souhaite vraiment de découvrir toujours plus de choses, d'apprendre encore et toujours (car on en a jamais fini, de ce côté-ci!), et de profiter à fond ce que qui s'offre à vous, malgré les obstacles.
(Pour les autres, venez tous en prépa, c'est super).
Bref, acharnez-vous, forcez-vous, dépassez vos propres limites.
Mais éclatez-vous :)
Bientôt, petit point sur les équivalences, la fac et la khûbe. Enjoy.